Terre de Territoires

logo de l'agence Terre de Territoires

La permaculture au Moulin du Pont-Rû par Guillaume Fenski

guillaume-fensky

La permaculture au moulin du Pont de Rû par Guillaume Fensky

L

La permaculture, une évidence au Moulin de Pont-de-Rû

TDT: Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Qui êtes-vous et comment avez-vous fait pour commencer à travailler ici, au Moulin ?

GF: Je m’appelle Guillaume, je suis arrivé ici il y a quasiment 4 ans maintenant, en septembre 2018. Au tout début, il y avait beaucoup de travaux à faire dans le bâtiment et autour, et je suis venu à l’occasion de chantiers participatifs. Il y avait des personnes qui venaient pour les travaux à l’intérieur de la maison, et je suis arrivé pour les premiers chantiers à l’extérieur, pour les jardins. Il y avait cette idée de faire de la permaculture. Personnellement,je revenais d’un voyage de 3 ans en Nouvelle-Zélande, en Australie où je me suis formé en faisant du woofing ainsi que des formations . J’ai fait ce qu’on appelle un cours de conception en permaculture, CCP, je suis revenu avec plein de connaissances, d’enthousiasme, et de choses à partager. Il y avait une dizaine de bénévoles qui étaient là pour faire ça. Le responsable du chantier n’a pas pu continuer à s’en occuper. Comme j’étais le seul du groupe à avoir des connaissances sur le sujet, il m’a été proposé de prendre le relais, ce que j’ai fait. Cela s’est bien passé et c’est ainsi qu’on m’a proposé de prendre en charge ce volet du projet de l’association. Je suis venu m’installer ici en mars 2019 et depuis je ne suis pas reparti.

TDT: Comment avez-vous découvert la permaculture ? J’ai bien compris que c’était en Australie, en Nouvelle-Zélande, mais était-ce un choix ? Ou pas du tout ?

GF: J’y pensais déjà, c’est une reconversion, même si, d’une certaine manière, c’est aussi une suite logique à mon parcours. J’ai travaillé pendant 3 ans en tant qu’infirmier, je faisais ça en intérim dans les hôpitaux parisiens. Le fait de travailler en intérim me permettait d’aller faire des longs voyages à l’étranger. Je suis allé en Inde, en Amérique du Sud. Et en Amérique du Sud, j’ai passé un peu de temps dans la jungle, dans des communautés indigènes, et j’y ai vu un système de santé complètement différent de ce que je connaissais ici, ainsi que des modes de vie très différents aussi. Tout est parti de cette réflexion sur les modes de vie, qui nous rendent malades. Il y a plusieurs facteurs qui entrent en considération : ce qu’on mange, ce qu’on boit, ce qu’on respire, ce qu’on fait, ce qu’on pense… C’est notre mode de vie qui finit par nous rendre malade si un de ces facteurs est déséquilibré. Et quand on vit en ville, malheureusement la plupart de ces facteurs sont un peu déséquilibrés. Finalement j’ai commencé à voir plusieurs incohérences entre ce que je pratiquais à l’hôpital et ce que je considérais être juste pour moi et je me suis dit qu’il fallait que je change moi-même mon mode de vie afin de pouvoir être en mesure de promouvoir un mode de vie différent, donner l’exemple essayer d’inspirer les gens à trouver un mode de vie qui est plus sain et plus juste pour eux. J’ai, ainsi, commencé à m’intéresser aux modes de vie alternatifs.

TDT: C’est ainsi que la permaculture s’est imposée à vous! La permaculture, ce n’est pas que le jardinage, c’est tout un état d’esprit. En fait, c’est un style de vie. Est-ce que vous pouvez m’en dire un peu plus?

GF: Oui en effet, la plupart des gens arrivent à la permaculture via le jardinage. Au début, ils se la représentent ainsi : une butte de culture avec plein d’associations de culture. En vérité, c’est beaucoup plus vaste que ça. C’est toute une réflexion sur nos modes de vie. Nous en tant qu’humains, comment habitons nous sur cette planète, comment interagissons nous avec la nature ? Pour ce qui est du concept en lui-même, le mot permaculture est né dans les années 70 en Australie. Ce sont des pratiques ancestrales avec une grosse part de bon sens qui ont été remises à jour, conceptualisées et basées sur des éthiques qui sont : prendre soin de la terre, prendre soin de l’humain, partager équitablement. C’est pour cela

que je disais tout à l’heure que ce que je fais, c’est la continuité de ce que je faisais déjà, il y a cette notion de prendre soin de l’humain que j’avais commencé à pratiquer en tant qu’infirmier, et à présent le “prendre soin de la terre” avec le jardin. Il y a des éthiques et des principes qui sont vraiment généreux, globaux, qu’on peut appliquer dans toutes les activités, quel que soit l’endroit où on se trouve sur la planète et donc on peut s’intéresser là-dedans à l’habitat, l’éducation, au vivre ensemble, c’est assez vaste. L’idée est que l’humain retrouve sa place en tant que partie de la nature. La nature est constituée de l’ensemble des êtres vivants, et l’humain s’est séparé de la nature en s’installant dans des villes, en artificialisant son environnement. En vérité, on fait partie de la nature et comme tous les autres êtres vivants sur cette planète, on a un rôle dans ce grand tout. Pour moi la permaculture, c’est essayer de retrouver ce rôle qu’on a dans la nature. Que sommes nous censés faire ? Comment sommes nous censés interagir avec le milieu, avec les autres êtres vivants et comment habitons nous sur cette planète ? Quelle est la manière la plus juste et équitable de vivre ?

TDT: En quoi consiste la conception d’un jardin permaculturel ?

GF: Cela passe énormément par l’observation. Une des bases, c’est de vraiment prendre le temps d’observer pour essayer de comprendre quelles sont les dynamiques qui ont lieu sur notre terrain. Qui va avec quoi ? Qui fait quoi ? Avec quoi ? En gros, ça fait quoi si nous n’interagissons pas, si on laisse faire les choses, qu’est-ce qui se passe ? Nous allons commencer par observer les limites du terrain, recenser et prendre des infos sur la topographie, l’hydrologie, les plantes qui sont là, les animaux qui passent, les flux aussi avec l’extérieur, comment le terrain communique avec d’autres éléments autour, comment il est positionné dans son environnement proche et éloigné. On dit souvent qu’il faut attendre une année avant de commencer à faire de gros aménagements. Cela permet de voir comment vit le terrain sans qu’on y touche. On peut tout de même faire de petites choses pendant cette année-là, mais des choses qui, si on se rend compte que ce n’est pas le bon endroit, ce n’est pas très grave. Par exemple, on va pouvoir faire un espace potager à un endroit et puis essayer et planter des petites choses et au pire l’espace potager, si on se rend compte que ce n’est pas le meilleur endroit, on arrête de s’en occuper et très rapidement la nature reprend ses droits. Alors que par exemple, un grand arbre qui est supposé rester là pendant 100 ans, si on le plante à un endroit et qu’on se rend compte l’année suivante que ce n’était pas le bon endroit et qu’il faut le replanter ailleurs, cela n’a pas le même impact. L’objectif est donc de faire en sorte que notre action soit la moins problématique. Dans les principes de conception, il y a aussi de travailler avec la nature et non pas contre la nature. A titre d’exemple, on entend des personnes se demander “qu’est-ce que je peux faire contre les limaces “. En fait, la question qu’on devrait se poser serait plutôt : “qu’est-ce que je peux faire avec les limaces”. Ce n’est pas facile les premières années car lorsque l’on a juste une pelouse et qu’on met en place un potager au milieu, forcément “tout le monde rapplique”. Une solution à cette situation est de mettre en place des stratégies pour attirer des prédateurs. Dans le cas des limaces, le prédateur par excellence sera le hérisson, à qui on va prévoir des abris pour qu’il se sente bien dans notre jardin.
La permaculture demande beaucoup d’implications, de recherches, d’observations.

TDT: A qui s’adresse la permaculture ?

GF: Potentiellement, elle pourrait s’adresser à tout le monde, parce que finalement c’est un mode de vie, une réflexion, une façon d’appréhender les choses. On va positionner des éléments les uns par rapport aux autres de la manière la plus logique pour qu’il y ait le moins d’énergie dépensée pour faire les différentes choses qu’on a à faire, et favoriser les interactions positives entre chacun des éléments. C’est aussi une méthodologie et donc potentiellement, ça pourrait concerner tout le monde. Évidemment ça sera plus simple sur un petit espace, et y aller petit à petit. Au fur et à mesure, on étend notre surface d’interactions avec le milieu en fonction de nos objectifs, de nos ressources.

La vocation première de ce jardin c’est surtout la pédagogie, nous voulons que les publics qui viennent puissent voir de quoi il s’agit exactement, sans oublier que le jardin, c’est juste un point de départ comme je disais tout à l’heure, c’est une porte d’entrée vers plein d’autres choses.

Interview du 29/07/2022 à Monsieur Guillaume Fenski -Responsable du pôle écologie de l’Association Le Moulin de Pont Rû, à Bray et Lû dans le Val d’Oise (95)

TDT: S’agit-il de techniques fondamentales nouvelles ou ont-elles déjà fait leurs preuves par le passé ? Il y a-t-il des plantes emblématiques ?

GF: En réalité, il y a un peu des deux. C’est remettre au goût du jour des techniques ancestrales. Il y a un exemple que j’aime utiliser quand j’en viens par parler d’association, de culture, c’est l’association des 3 sœurs ou encore appelée « la milpa » et ce sont les amérindiens qui font ça depuis très longtemps. Ils vont associer 3 plantes ensemble qui vont être : le maïs, qui va servir de tuteur pour faire grimper des haricots. Les haricots, qui font partie de la famille des fabacées, sont en symbiose au niveau des racines avec une bactérie qui va rendre l’azote atmosphérique minéral. Pour faire simple, dans l’air qu’on respire il y a 78% d’azote et les plantes pour pousser, elles ont besoin d’azote, mais sous forme minérale. Les bactéries qui vivent au niveau des racines de cette plante vont transformer cet azote gazeux en azote minérale et la plante en question ne va pas avoir besoin de puiser dans les ressources d’azote du sol, elle va être autonome en azote et potentiellement une fois qu’elle a fini son cycle, elle pourra libérer une partie de cet azote dans le sol et donc enrichir le sol. Par ailleurs, cela peut bénéficier aux plantes autour : en ayant le haricot qui pousse à côté, le maïs va pousser encore mieux parce qu’il va avoir accès à plus d’azote. Enfin, il y a une 3e plante qui sont les courges qui elles, vont faire des grosses feuilles et former un couvre-sol. Cela va limiter l’impact des rayons du soleil sur le sol et ainsi le garder plus frais et humide. On a donc là 3 plantes qui se complètent très bien dans l’espace et dans leurs besoins, 3 récoltes, sur un espace plus réduit que si on les cultivait chacune de leur côté. C’est toute une logistique ! Trouver le bon espacement ainsi que le bon timing parce qu’il faut que le maïs soit déjà assez grand pour que le haricot puisse grimper dessus.

Concernant la plante emblématique, il y en a une qui est souvent utilisée quand on commence à planter des arbres, c’est la “consoude “. Celle-ci est une plante sauvage qui peut être assez abondante. On en a fait des hybrides stériles aussi, ce qui est intéressant pour limiter son côté envahissant. C’est une plante vivace, qui repousse tout le temps, tous les ans, et qui a une racine qu’on dit pivotante. Elle va très loin dans le sol et ramène tout un tas de minéraux en surface. On peut la faucher 4/5 fois dans l’année, ça continue à repousser. C’est une plante qui a des propriétés médicinales intéressantes. On l’appelle la “consoude” car ça soude justement, et donc, par exemple, si on se casse le bras ou même quand on se coupe, ça va favoriser la cicatrisation. D’autre part, ses feuilles sont très chargées en minéraux, notamment en potassium, qui est un minéral qui n’est pas forcément facile d’accès pour les autres plantes. L’idéal c’est de l’avoir dans son jardin à certains endroits stratégiques. On peut la faucher régulièrement, l’utiliser en paillage ou alors faire des purins avec, ce

qui va aider à la fructification. C’est une plante compagne qui s’associe bien avec des arbres par exemple. Cette plante, dans sa forme sauvage, peut devenir un peu envahissante, mais les hybrides stériles permettent de pouvoir profiter de ses bienfaits sans crainte d’en retrouver partout dans le jardin. On pourra la diviser en prenant des bouts de racines qu’on replantera là où nous en avons besoin. Tout au long de la belle saison, des feuilles vont pousser, et en plus la floraison va attirer pas mal de pollinisateurs.

TDT : Comment les élus pourraient-ils intégrer la permaculture dans leur commune ?

GF: Il faudrait peut-être que les urbanistes soient formés à la permaculture et aient cette approche dans la conception des villes. Essayer de mettre en place des jardins potagers, par exemple, mais aussi au niveau du choix des arbres plantés en ville, ça pourrait très bien être des arbres nourriciers par exemple. Aujourd’hui, finalement, dans la ville, on ne peut pas se nourrir de quoi que ce soit alors que potentiellement on pourrait mettre des arbres fruitiers ou autres, même si cela implique forcément, au niveau logistique, des petits défis aussi car cela veut dire qu’au moment où les fruits sont mûrs, ils risquent de tomber au sol. On pourrait aussi essayer de végétaliser au maximum pour essayer de tendre vers une autonomie.

Partager l’article :

Et bien d'autres articles...

Partager l’article :

Et bien d'autres articles...